La Fondation AÏDARA CHERIF lance le projet Algues et aquaculture biologique contre la pauvreté

jeudi 16 octobre 2014.

(Interview réalisée par l’antenne Europe de la FAC)

Antenne FAC Europe : Monsieur le Président, pouvez-vous nous expliquer pour quelles raisons la Fondation se tourne aujourd’hui vers l’océan pour lutter contre la pauvreté?

En premier lieu, il ne faut pas oublier que nous avons toujours été tournés vers l’océan puisque dès le 15ème siècle, les pirogues africaines sillonnaient les mers et que la connaissance maritime des navigateurs de notre continent étaient si précises qu’ils se guidaient uniquement par l’observation de la direction de la houle et des courants ainsi que par l’évaluation de la profondeur de l’océan. Ils n’avaient pas besoin de boussole! Concernant le Sénégal, on peut dire que c’est un pays à vocation maritime, une nation de pêcheurs depuis toujours. J’ai rencontré récemment le Grand Serigne de Dakar, Abdoulaye Makhtar Diop, qui m’a fait part de l’inquiétude du monde de la pêche.

Aujourd’hui, les grandes puissances veulent tirer des océans les denrées alimentaires, l’énergie, les médicaments nécessaires au maintien de leur suprématie. L’Europe, la Chine, les États-Unis ont développé des stratégies d’attaque économique tournées vers les 71% des océans qui recouvrent notre planète. Ils appellent ça la «croissance bleue». Il s’agit de mobiliser les potentialités des mers, des océans et des côtes du monde entier pour créer de la richesse et des emplois chez eux. L’Union européenne a même lancé un programme «Connaissance du milieu marin 2020» qui est en train de collecter le maximum de données sur les fonds marins. Ces informations sont ensuite numérisées et exploitées. L’objectif est d’en tirer des applications pratiques devant engendrer un maximum de profits. On commence déjà à extraire de l’or, de l’argent du fond des océans, avec des dégâts environnementaux considérables. Les compagnies minières, les multinationales passent des contrats avec les gouvernements pour mener à bien, en toute tranquillité, leurs activités lucratives. Les populations ne sont généralement pas consultées. Les pêcheurs artisanaux n’ont ensuite que leurs yeux pour pleurer.

Antenne FAC Europe : Que peut faire Votre Fondation pour lutter contre cet accaparement de nos ressources marines?

La population doit prendre en main sa destinée. Je le répète, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour défendre nos vies. Nous devons nous unir et réfléchir ensemble aux moyens de protéger la nature qui assure depuis toujours notre subsistance. Le fait est qu’après l’accaparement des terres agricoles, ce sont les océans qui suscitent aujourd’hui les convoitises des marchés mondiaux. Actuellement, ce sont 800 millions de personnes dans le monde dont la survie dépend de la pêche. Rien qu’au Sénégal, on estime qu’au moins 600 000 familles vivent directement de la pêche. La solution est de s’organiser pour protéger nous-mêmes les eaux et les ressources qui sont notre bien commun. Les pêcheurs doivent faire entendre leur voix dans les processus d’accords de partenariat qui épuisent les ressources halieutiques dont dépend leur survie. La Fondation est prête, si nécessaire, à soutenir les fédérations de pêcheurs pour faire valoir ce droit à l’alimentation et à vivre de nos ressources naturelles devant le Comité mondial sur la sécurité alimentaire de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Dans un premier temps, nous pouvons mettre en place rapidement, ensemble, de petites structures aquacoles biologiques et structurer la commercialisation des algues. Les femmes sont depuis toujours fortement impliquées dans le secteur de la pêche. C’est pourquoi, il est indispensable de faire participer les associations des femmes dès la mise en œuvre de ces nouveaux projets.

Antenne FAC Europe : Pouvez-vous nous en dire davantage sur vos projets d’aquaculture et de commercialisation des algues?

Concernant l’aquaculture, tout le monde affirme aujourd’hui qu’elle représente une solution face à la surpêche et à la raréfaction des stocks de poissons. Selon la FAO, d’ici 2030, la part de l’aquaculture représentera 65% de la consommation mondiale de poissons. En Europe, elle est actuellement de 25%, ce qui est négligeable face à l’Asie qui détient environ 90% de la production aquacole mondiale. L’aquaculture dans le monde enregistre un taux de croissance de 6,6% par an. C’est un secteur en pleine expansion. La Fondation va créer de petites fermes aquacoles, selon les règles de production biologique, gérées par les pêcheurs eux-mêmes. En ce moment, l’Europe affirme avoir un problème avec les «flux migratoires» en provenance du continent africain. Mais les jeunes qui quittent leurs familles et leurs villages, et parfois y laissent même leur vie, ne le font pas de gaîté de cœur. En réalité, ils préféreraient rester et travailler chez eux. Par ailleurs, l’Union européenne n’a pas d’espace maritime disponible pour les activités aquacoles. Nous, nous en avons. L’Europe devrait donc nous aider à développer l’aquaculture durable chez nous. C’est une logique de gagnant/gagnant. Nous, nous embaucherions ainsi des milliers de jeunes qui seraient heureux d’accéder à l’autonomie financière. Quant à l’Europe, elle réglerait de cette façon ce qu’elle considère comme étant deux problèmes majeurs, son approvisionnement en poissons et l’immigration. Aujourd’hui, les nations sont interdépendantes. Il n’y a plus de faibles ou de forts. Tous les accords peuvent se faire dans un esprit gagnant/gagnant.

Maintenant concernant les algues, on sait que depuis des siècles elles sont utilisées par l’homme, en particulier dans les pays asiatiques, pour l’alimentation, la médecine et l’agriculture du fait de leur richesse en minéraux et en polysaccharides (amidon, cellulose). A l’échelle mondiale, les algues sont exploitées majoritairement dans le secteur de l’agroalimentaire (70%,ndr). Depuis quelques années, elles sont devenues un aliment très recherché par les consommateurs occidentaux soucieux de leur santé. Des organisations internationales ont mis en place des programmes de culture de spiruline en Mauritanie. Nous-mêmes, à la Fondation, nous travaillons conjointement avec le laboratoire créé par l’éminent Professeur Abdourahmane Tamba qui a une grande expertise en matière de phycologie. L’université de Dakar a déjà testé les innovations du Professeur, notamment un aliment pour bébés à base d’algues qui permet de lutter contre la malnutrition. Les essais ont été très concluants. Il a été constaté que les enfants reprennent du poids beaucoup plus rapidement qu’avec n’importe quel autre aliment. Nous avons également fait goûter une autre création du Professeur, un délicieux pain à la farine d’algues comme substitut à la farine de blé, lequel a été unanimement apprécié. Aujourd’hui, le laboratoire est à la recherche de nouveaux moyens pour s’agrandir. Devant des résultats aussi prometteurs, je suis certain que nous allons parvenir à intéresser de nombreux sponsors. Certains grands chefs étoilés français ont déclaré que les algues étaient l’aliment du futur et qu’en 2050, elles seraient probablement le principal aliment de la mer consommé par les humains.

D’autre part, des laboratoires pharmaceutiques partout dans le monde étudient actuellement les propriétés thérapeutiques des algues. De nombreux compléments alimentaires à base d’algues sont déjà en vente avec un grand succès en Europe et aux États-Unis. Dans l’agriculture biologique, on fabrique de l’engrais avec des algues. On parle déjà d’algocarburant. On a commencé à utiliser des algues pour le traitement biologique des eaux usées avec un effet de réduction des teneurs en nitrates et en phosphates des eaux traitées. En Angleterre, une société commercialise un produit à base d’algues qui absorbe les métaux lourds. Bref, dans les secteurs de l’énergie, de la santé, de l’alimentation ou des cosmétiques, le potentiel des algues est énorme. Et on est probablement seulement au début des connaissances en la matière. Tous les gouvernements des pays industrialisés ont fait des biotechnologies un moteur de croissance. Pour que l’Afrique ne soit pas dépossédée, une fois de plus, d’une ressource précieuse, c’est le moment de nous unir pour tirer bénéfice de cette richesse commune. La Fondation n’a qu’un seul credo, faire en sorte que les ressources considérables de notre continent permettent d’éradiquer la pauvreté des populations. Pour cela, il n’y a qu’une solution, agir ensemble et retrouver nos valeurs ancestrales de partage. Nous sommes sur la bonne voie.

Antenne FAC Europe : Je vous remercie, Monsieur le Président d’avoir répondu à nos questions.

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